| « Comme une musique infinie que son rire démentiel qui éclate auprès de moi. Elle est la poupée qui passe des larmes aux grands sourires et des sourires aux longs soupirs, tandis que nos âmes se déversent sur son corps parfaitement épuré des hontes qu’ont pu lui faire connaître nos congénères. Je ne sais pas quand a commencé le désastre, quand ce creux, ce gouffre profond s’est creusé au fond d’elle, pour ne plus laisser qu’une enveloppe charnelle, bien belle certes, mais à l’extrême opposée de ce qu’elle est. Des lèvres qui s’étirent à n’en plus finir, des yeux qui pétillent, comme le reflet des bulles éclatant dans sa coupe de champagne, menaçant de déborder à tout moment, et entre mes bras, pauvre esquisse de la perfection, je la sens vide, vide de tout, de sens, d’amour et d’ambition. J’aimerais qu’elle cesse de se lever le matin sur des jambes tremblantes et éponger son visage humide des cauchemars de la nuit quand elle pense que je dors encore, que son regard ne se perde plus sur le lointain quand elle suit le nord, qu’elle cesse de se réfugier sous ses montagnes d’or. Pauvre petite fille remuant sur du rock’n’roll, ta vie triste te fait bien trop de torts. Viens donc danser contre moi, encore une nuit, encore une fois. Chanter tout bas, jusqu’à t’exploser la voix. Mais à chaque fois que vient le soir, que s’élève l’astre lunaire, tu t’échappes, troquant ta cage dorée contre une seconde aux apparences plus mielleuses.
J’avais trois ans de plus qu’elle, un vague sourire constamment au bord des lèvres, un brasier ardent à la place du regard. J’avais connu des femmes accomplies, des blondes et des brunes, des qui hurlent à la mort, des qui gémissent et ondulent lentement, qui dansent entre mes bras, qui dansent contre mon corps, jusque ce que la nuit se meurt. J’avais connu les excès, mon lit s’en ressentait, mon lit me le rappelait. Je disais être un homme, faire de ma vie un rêve éveillé, ne m’attacher à rien ni personne, jouer, manger, dormir, rêver, boire, taper, baiser. Oui, mon avenir me paraissait certain, mais c’était compter sans elle. Moi qui pensais que jamais l’amour ne m’atteindrait, qui me riait de ces couples enlacés. Elle a atteint mon cœur, fait trembler mes membres, mes yeux la dévorent, et sans arrêt, mes pensées la réclament auprès de moi. Mais elle s’enfuit, elle est plus libre que moi. Je redessine l’horizon de ses courbes, je rêve de voir mes mains se déposer sur ses hanches, de tenir entre mes bras son corps fragile. Poupée qui manque de tomber à chacun de ses pas. Elle sourit face à vous, toujours, et pleure en secret, dès que le noir commence à envahir le ciel, dès qu’elle se retrouve seule avec elle-même. Ses sanglots me déchirent le cœur, ses cris me conduisent en enfer. Elle ne veut d’aide de personne, cache son mal-être au plus profond d’elle-même. Masque de fierté, celle dont elle ne sait se dépêtrer. Le moindre de ses actes est conditionné par celle-ci, et jamais elle ne montre les émotions ressenties. Elle se veut inhumaine, ou tout simplement plus qu’humaine. Abat la moindre de ses faiblesses pour s’envelopper dans cette apparence parfaite. Ne jamais se permettre la moindre erreur. Ce n’est pas qu’elle est insensible, au contraire, elle a une sensibilité exacerbée, et c’est justement pour cela qu’elle en éradique chacune de ses formes, quelles qu’elle soit, par peur sans doute. Peur de la trahison, peur de l’attachement, peur de trop donner sans rien recevoir en échange. Je la comprends. Chaque fois que je la regarde, j’ai l’impression d’y voir mon double féminin, qui danse sur les flammes de l’enfer auquel elle s’est elle-même destinée. Fourbes démons qui la hantent. Je les vois s’agiter sous ses paupières closes, j’aimerais tant les lui retirer. Pas une nuit où elle rêve, jamais rien que des visions d’horreur qui s’inscrivent là, et elle remue, elle essaye tant bien que mal de se sortir de la vase, avant de se réveiller en sursaut, transpirant de sueur, et l’effroi se lisant dans ses yeux. Si fragile et si forte à la fois. Jusqu’à en devenir dingue. Excellente comédienne, elle sait feindre la sociabilité quand son esprit rêve de vous envoyer paître. Tentez de la connaître et elle ne se gênera pas pour le faire. Si vous souhaitez vous brûler les ailes, passer outre les avertissements qu’elle vous lance en gardant ses distances, en mentant au moyen de son formidable jeu d’actrice, alors elle n’aura aucune pitié à les incendier, et vous propulser dans ce gouffre sans fond que vous ne pouvez plus survoler. Lucide et innocente à la fois, ses yeux d’enfant vous guette, mais son intelligence vous perce. Vous vous engagez dans le puits sans fond qu’elle a creusé pour vous, elle admirera votre chute, et s’en délectera presque. Il ne peut en être autrement, vu la royale ignorance dont elle fait preuve quand l’attachement des autres envers elle crève les yeux. Mais non, elle demeure à la fois affectueuse et distante, juste assez à la fois pour ne pas vous laisser partir, mais pour ne pas vous contenter non plus. Ses mots résonnent comme une douce mélodie mais insinuent bien des choses, imperceptibles tant que vous n’apprenez pas à la connaître par cœur. Mieux vaut donc rester dans l’ignorance. » |